Le 16 juin 2011, en Belgique, les mouvements de promotion de la femme se réjouissaient.
Les femmes, à défaut d’avoir été choisies pour leur compétences ou leur qualités intrinsèques se verraient ouvrir les portes des très feutrées salles de conseil d’administration. Vive les quotas puisqu’il n’y a que ça qui semble permettre de leur donner – à contre-coeur – le sésame pour entrer dans le Saint du Saint.
Alors, certes, les administrateurs se donnent le temps pour intégrer cette décision.
Ce n’est que dans 5 ans que les femmes devront occuper à hauteur de 30% les sièges des conseils d’administration des sociétés cotées; 9 ans pour les sociétés dont seulement la moitié des actions sont cotées et un remplacement dès 2012 des mandats masculins par des mandats féminins dans les institutions publiques.
Et pourtant, je suis d’avis que cela ne va en rien résoudre le problème.
L’équilibre hormonal
Car le problème, quel est-il? Le problème n’est pas d’avoir une tentative d’équilibre hormonal autours de la table. Le problème est de se focaliser sur les bons indicateurs, en accordant les bonnes qualités à ces indicateurs pour donner les bonnes orientations stratégiques à l’organisation et ainsi en assurer un développement durable.
Pour l’instant, reconnaissons-le, nous sommes loin, très loin, de débattre de responsabilité sociétale, de triple P (people – profit – planet), de développement durable, de patrimoine humain dans les conseils d’administration. Le focus est essentiellement core business et financier. Court terme. Très court terme. Etre rentable. Vite. Très vite. La gestion à long terme, la pérennité de l’organisation se résume à des projections financières sur le bottom line et sur le cash flow disponible.
Certes, le code Lippens a contribué à mettre un peu de gouvernance : comité de nomination (des administrateurs (sic)), comité de rémunération (des administrateurs et du top management (sic) et comité d’audit (généralement financier (sic)). Et en toute logique, les indicateurs suivis sont des indicateurs de performance et financier.
La société change à une vitesse exponentielle.
Je pose donc la question : ces messieurs les administrateurs sont-ils conscients de l’évolution démographique à venir? De la guerre des talents? Des communautés spontanées et virtuelles particulièrement efficaces et efficientes? De la force des media sociaux? Du fait qu’en 2018, les enfants de la « Native Gen » vont arriver sur le marché de l’emploi ?
La révolution que l’Afrique du Nord a connue au printemps ne va pas s’arrêter à la société civile. Si des hommes sont capables de renverser un régime dictatorial, imaginez ce qu’ils peuvent faire à une société commerciale. C’est d’ailleurs ce que disait John Hagel, auteur et co-leader du Knowledge Center de Deloitte lors d’un grand colloque sur les media sociaux en Australie ce jeudi 9 septembre.
Avant d’en arriver à des révolutions sanglantes au sein de organisation, pourquoi ne pas faire évoluer les indicateurs qui permettent aux plus hautes instances de prendre les décisions stratégiques qui s’imposent. Car on n’est pas dans un monde de Bisounours. Toute organisation, qu’elle soit privée ou publique, se doit de livrer des résultats. De quelque nature qu’ils soient.
Le 28 août 2011, une bande d’optimistes se réunissaient à Louvain-La-Neuve. One people, one planet. L’objet du jour était d’ébaucher le monde de demain. Je souhaite donc rendre hommage ici au groupe de réflexion auquel j’appartenais et qui s’est penché modestement sur le futur des organisations. Nous avons défini 3 axes de travail afin de faire évoluer nos organisations : changer le leadership (inspirant et inspiré); changer le comportement des consommateurs (principes de frugalité et responsabilité) ; changer les indicateurs. Focalisons-nous donc sur 3ème point.
La performance certes. Mais aussi la résilience et la responsabilité.
On ne va pas s’attarder sur des indicateurs de performance. Se pencher seulement sur cette sacro-sainte performance mène aux dérives que l’on a déjà maintes fois constatées : nous évoluons de plus en plus vite de crise financière en crise financière, à tel point qu’on ne s’en émeut presque plus. Pourquoi s’en étonner d’ailleurs ? C’est la loi de la jungle : les plus forts (en ingénierie financière) survivront, les plus faibles mouront. Nous vivons dans un bain de sang social permanent, sans même nous en rendre compte ou, en tout cas, en nous y résignant. Le principe de la soupe à la grenouille : à petite dose, on est capable d’ingérer le pire des poisons avec le sourire.
Heureusement, nous voyons aussi simplement un autre constat émerger : les sociétés les plus performantes sont aussi celles où il fait le meilleur vivre, où les employés sont le plus heureux. Où le bien-être, le bonheur font l’objet d’une vraie stratégie d’entreprise. SAS Institue aux USA dont les résultats sont tellement exceptionnels en 2009 que le fondateur reversera une grande partie des bénéfices à son staff SA – est premier sur la liste avant le versement de cette prime. BCG, suit en 2ème position pour son programme de congé de bénévolat payé. Google, 4 ème position. Zappos, 6ème, vendeur de chaussures en ligne, a érigé le bonheur comme fondement organisationnel. Ils ne livrent pas des chaussures. Ils livrent du bonheur. Et toutes ces sociétés connaissent une tendance de croissance financière qui rendrait n’importe quel conseil d’administration de notre pays vert de jalousie.
Le nez dans ce qui importe vraiment.
Il est plus que temps de réveiller nos conseils d’administration et de leur faire prendre conscience de ce qui importe vraiment. Les indicateurs de résilience et de responsabilité.
La résilience est la capacité de se relever après une crise et d’en tirer les enseignements.
La responsabilité est l’engagement de tout mettre en œuvre (moyens et énergie) pour respecter sa parole.
BMW a constitué, en annexe de son conseil d’administration, un comité « Responsibility, Agility and Accountability ». Ce comité analyse la faculté de BMW de se relever d’une crise interne ou externe. Il analyse l’impact de la politique et de la stratégie de son organisation sur l’ensemble de ses stakeholders « SPICE » (society, partners, investors, customers, environment). Il s’attache à mesurer la responsabilité sociétale.
En Belgique, 4 administrations publiques donnent le ton et sont les premières au niveau mondiale à entrer dans une démarche ISO26000. Le SPF Finance, le SPF Economie, le SPPDD et le SPF Sécurité Sociale. Une première mondiale qui passe pour l’instant encore inaperçue mais dont les résultats, attendus en mai 2012, devraient contribuer à insuffler une dynamique dans d’autres organisations, publiques ou privées.
Le patrimoine humain, évolution durable et positive de la gestion des ressources humaines et du capital humain, veille à soutenir les choix stratégiques de l’organisation en permettant aux hommes et aux femmes qui la composent d’être engagés, heureux et donc performants. Une étude scientifique publiée le 5 septembre 2011 dans le très sérieux NY Times prouve que le désengagement coûte 300 milliards de dollars aux sociétés américaines (http://nyti.ms/oI72Zd). Elle prouve aussi, comme bien d’autres études, que des collaborateurs heureux travaillent plus dur. Il faut maintenant passer à l’étape suivante : des travailleurs heureux ne travaillent pas plus dur mais plus intelligemment. Au sein de mon organisation, le SPF Sécurité Sociale, la politique de développement de patrimoine humain se résume à cette simple équation : Liberté + Responsabilité = Performance + Bonheur. Et tous nos indicateurs sont dans le vert.
In concreto, quels indicateurs ?
Il y en a tellement que les Conseils d’administrations pourraient faire leur shopping comme dans un supermarché sans craindre la répétition.
Il y a la panoplie des indicateurs de développement durable : gestion énergétique, taux d’énergie verte, gestion des déchets, gestion du cradle-to-cradle, taux d’innovation, taux de bissociation, budget dédié à laR&D, budet des consommables, …
Il y a les indicateurs liés au patrimoine humain : taux de rotation, taux de stress (études pycho-sociales), taux d’engagement (motivation), taux de candidatures spontanées, nombres de candidats pour un job, taux de loyauté, taux de ré-engagement, nombre de bonnes pratiques (fixation d’objectifs en équipe, 360°, accompagnement junior/senior, implication des collègues dans le recrutement, rotation du leadership, actions bénévolat, initiative du personnel, politique de diversité…), nombre de jours de formation par personne, nombre de jours de formation en soft skills (relations interpersonnelles, confiance en soi, délégation, art de communiquer, …), nombre de communautés ouvertes, taux de pénétration des media sociaux, …
Il y a les indicateurs d‘implication des stakeholders: fréquence de rencontre avec les différentes stakeholders, taux de suggestions retenues, enquête clients, nombre de conseil d’entreprises, longévité des points sur les agendas des conseils d’entreprise et des comités de direction, nombre de communautés web, pénétration des media sociaux, …
Vous en voulez, servez-vous !
Retour à l’équilibre hormonal.
Chers Messieurs les Administrateurs, profitez donc du fait que vous soyez obligés de recruter des collègues féminines pour élargir le scope de vos préoccupations. En restant purement des financiers ou des experts du core business, vous allez attirer des femmes-requins. Des femmes qui vous ressemblent et qui, pour se faire accepter dans votre cénacle, risquent d’être encore plus masculines que vous ne l’êtes.
Parlez communauté, développement durable, patrimoine humain et vous attirez à vous des (jeunes) femmes talentueuses qui seront réellement concernées par la pérennité et le développement responsable des organisations. Voilà comment vous allez pouvoir équilibrer naturellement et en douceur vos organes de gouvernance. Les ressources humaines, la communication, la responsabilité sociétale, le développement durable sont des domaines dans lesquels les femmes excellent. Si ça, ce n’est pas un heureux hasard…
J’ai été taxée il y a 6 mois de naïve.
Je préfère être taxée d’idéaliste.
Je préfère vivre mes rêves que rêver ma vie.
Je préfère contribuer que me plaindre.
Je préfère espérer que notre réflexion trouvera un écho. Ne serait-ce qu’un seul, au sein d’un seul conseil d’administration. Ce serait déjà le début d’un changement.
Changer. Bouger. Vivre mieux. Vivre plus intelligemment.
J’en ai envie. Et vous ?
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Re-merci Miss Philomène. On ne gère que ce que l’on mesure et j’ai bien sauvegardé ta batterie d’indicateurs dans le folder “Indicateurs de bonheur”.
Tu y cotoie Jacque Delors, Joseph Stieglitz et Amartya Sen.
Le premier m’a dirigé, les deux autres sont prix Nobels..
Tu es en bonne compagnie comme tu voies
This is way better than a brick & mrtoar establishment.
Way to go on this essay, heelpd a ton.