(Article publié en 2007 par les Editions Kluwer)
Les nouveaux types de connexions entre les personnes, entre les personnes et les choses définissent une nouvelle génération de rapports. Le monde évolue d’un protectionnisme dirigé par le slogan « l’information, c’est le pouvoir » vers des sources d’information ouvertes (open sources), libres d’accès où « le partage de l’information est le pouvoir ». Dans ce cas, partage signifie transparence, accessibilité. Le partage permet d’optimiser la prise de décision et malgré l’abondance d’informations à sélectionner, ces décisions sont souvent meilleures, plus rapides et à plus haute valeur ajoutée.
Dans un tel contexte, il est clair que de nouveaux comportements managériaux sont attendus. Et il est également évident que nous devons développer une nouvelle génération de leaders. Mais ce qui est évident n’est pas pour autant simple à mettre en œuvre…
Leaders, managers : deux fonctions différentes pour un but commun
Avant d’avancer plus avant sur une tentative de définition des comportements managériaux de demain, nous voudrions mettre en exergue la différentiation à faire entre le rôle de leader et celui de manager.
Si tous deux ont pour but la réalisation des objectifs de la société, la façon d’arriver à ces résultats sera fortement différente que l’on soit leader ou manager.
Un leader va définir la vision à atteindre, va la traduire en objectifs concrets. Il indique le cap à son équipe et lui laisse une certaine latitude de choix et d’options pour l’atteindre. C’est une personne ressource qui encadre, recadre, supporte, encourage. C’est le capitaine du navire, celui qui prend les décisions en cas de coup de grain, celui qui met les mains dans le cambouis lorsque la situation le requiert. C’est lui qui distribue les rôles, les responsabilités et qui assure la cohésion de l’équipe. C’est un Alexandre Le Grand, c’est un Maximus. Il enthousiasme, il assure la cohésion.
Un manager est un métronome. Il donne le tempo, mesure les écarts avec les objectifs fixés. Il alloue les ressources, jauge les résultats, standardise, optimise, corrige, planifie, mesure, corrige, planifie, mesure, … Devoir assumé sans relâche, sans faillir, tel un perfectionniste. Il s’assure que le travail est fait, est bien fait et veille à ce qu’il puisse être encore mieux fait. Il fait sienne la devise de Boileau « 100 fois sur le métier, remets ton ouvrage ».
Une entreprise qui réussit à besoin de ces 2 profils. Mais sont-ils réellement compatibles ? Cela relève réellement de la gageur de trouver un excellent manager/leader et vice-versa. Dans un monde économique qui exige des résultats à très court terme (le fameux dictat de Wall-Street évoqué par Marc Halévy-Van Keymeulen dans ses nombreux articles en faveur du développement du neo-management) et qui est contrebalancé par une vindicte populaire exigeant plus de responsabilités sociétales tant de la part des individus que de la part des Entreprises (le concept de Corporate Social Responsibilty, CSR), il n’est certes pas évident de trouver ces capitaines qui mèneront le navire à bon port en tant compte de ces 2 impératifs. D’ailleurs, ce navire ne doit pas être obligatoirement un super tanker et cette faculté d’être un manager leader l’apanage du Comité de Direction de l’entreprise. Chaque manager ou responsable d’équipe, voire de projet, à quelque niveau que ce soit de l’entreprise, doit développer ces deux facettes de sa personnalité professionnelle. Si cette dualité de rôles est certes critique au top management, elle n’en est pas moins essentielle dans le middle management, l’étage des relais et de la concrétisation.
L’heure n’est plus à l’attente mais à l’action.
Le sujet de la guerre des talents est à nouveau sur toutes les lèvres. Baladez-vous dans n’importe quel séminaire HR et tendez l’oreille. Vous n’entendrez que plainte et désespoir pour attirer les meilleurs talents, les retenir. Développer devient un jeu d’enfants si on compare l’effort à mettre dans la phase développement par rapport aux phases attraction – rétention. Certes les arguments financiers, d’environnement de travail flexible, de plan de formation continue restent d’actualité, mais force est de constater qu’un élément différentiant reste sans nul doute la culture d’entreprise. Et qui fait naître cette culture d’entreprise ? Les leaders, bien sur.
Il a été clairement établi depuis plusieurs années maintenant[1], que les jeunes générations sont loyales à leurs collègues et à leur boss. Le message sous-jacent reviendrait donc à dire : « vous vous lez attirer et retenir vos talents ? Bien, investissez dans la qualité de leur manager ! ».
Lorsque Hollywood nous inspire…
Tant a déjà été dit ou écrit par des personnes renommées et bien plus expérimentées : Dave Ulrich, Peter Druker, Maxwell, Blanchard, Danah Zohar, entre autres. Plus de 221.000 livres sont référencés sous Amazon.com avec le mot « leadership » dans le titre ; 649.000 livres ayant management dans leur titre et un peu moins de 53.000 ayant coaching dans leur titre. Nous ne voudrions pas avoir la prétention d’apporter un nouvel élément qui n’eût déjà été dit, explicité par un autre auteur.
Néanmoins, lors d’un brainstorming incongru avec un collègue du Future of Work Forum, Cliff Dennett[2], nous avions échangés nos vues sur les enseignements à tirer d’un film, « Un monde meilleur » – Pay-it forward, en version originale[3].
Le concept de ce film est simple. Au lieu de remercier une personne qui vous a aidé « gratuitement », cette personne vous demande à votre tour 3 autres personnes, gratuitement. Et ainsi de suite. Le système de pyramide ou de chaîne est enclenché mais dans un but noble et humaniste. Ce film a éveillé des vocations humanitaires (par exemple la Pay-it-forward Foundation), a renforcé ou vulgarisé un certain concept de responsabilité sociétale à échelle humaine et a engrangé des réflexions d’auteurs. Kouzes et Posner ont, par exemple, décliné le concept en soulevant qu’un leader pouvait uniquement atteindre ses objectifs en créant d’une part un intérêt commun, d’autre part en mettant cette vision en action.
Pay-it-forward leadership
A notre échelle, nous avons réfléchi avec Cliff Dennett sur l’impact qu’une telle philosophie pouvait signifier en matière de gestion d’entreprise. Nous aimerions vous en livrer ici les axes principaux, en espérant que ces idées puissent vous en inspirer d’autres.
Le “Pay-It-Forward” signifie sacrifier son intérêt personnel à court terme au bénéficie d’un développement durable pour un plus grand nombre impliqué par les décisions à prendre. C’est une sorte de ré-éducation en profondeur du management qui peut être facilité par le besoin de plus en plus présent qu’ont les personnes de (re)trouver du sens à ce qu’elles font pendant au moins 40 heures sur la semaine.
Nous avons défini la situation actuelle comme ceci:
- La logique spéculative dominante à court terme est fortement ancrée dans les réflexes managériaux actuels, supportés par une période industrielle rationnelle et déterministe ;
- La protection de l’information est source de pouvoir ;
- Le dictat de Wall Street est prépondérant est exige une maximisation à outrance de la valeur financière de l’action, au détriment de toute consistance à long terme ;
- Le leadership autocratique est supporté par une culture de base essentiellement construite sur le contrôle ;
- La reconnaissance sociale est liée au titre, au statut hiérarchique, à la fonction sur la carte de visite, à la taille en m² du bureau ;
- Les valeurs d’entreprises restent l’argent, promotion, faire plus avec moins, performance individuelle ;
- La logique MAD (Merge, Acquisition and Divestiture) reste part entière d’un comportement capitalistique acquis.
En conséquence de quoi, des scandales (quels qu’ils soient : financiers, humains, écologiques) tels que Parmalat, Enron, Shell, Nike, H&M ont été mis en évidence et ont choqué le consommateur lambda, vous et moi. Abus de confiance, tricheries sur les comptes, utilisation à outrance de la main d’œuvre moins qualifiée et défavorisée, emploi d’enfants,… Autant d’actions radicales de changement à mettre en place ; autant d’images à corriger le plus rapidement possible pour retrouver, s’il est possible, la confiance des consommateurs et des investisseurs. Le capitalisme est auto-anthropophage : à vouloir trop de résultats trop importants et rapides, il se conduit lui-même à sa perte.
Quant à la situation future, nous l’avons imaginée comme telle:
- Le désir à long terme de progresser, d’améliorer et de créer un héritage empli de sens et de pragmatisme pour nos enfants;
- L’open source = la révélation et le partage sont le pouvoir
- Un usage différent des ressources et des capitaux à notre disposition (financier, humain, organique, biologique et naturel)
- La gestion des alter-egos (peer-to-peer management): organisations autorégulées, culture basée sur la confiance et les résultats, délégation, mise en exergue des forces de chacun et développement d’une véritable identité d’équipe performante
- Banalisation du Pay it forward leadership: gérer par l’exemple, avec intégrité et responsabilité
- La reconnaissance sociale passe au travers du sentiment d’appartenance à une tribu qui partage les mêmes valeurs fondamentales, les mêmes intérêts
- Les valeurs sont holistiques, respectueuses des “petites voix internes”, intuitives, partageant un but commun, faire mieux pour un plus grand nombre
- La logique de réseau et d’organisation neuronale est complètement acquise ; les alliances sont positives et dans l’intérêt de tous
Des sociétés telles que IKEA (avec leurs fameux Employees Sundays lors desquels les employés se partagent les bénéfices de la journée mais viennet tarvailler gratuitement un dimanche), Skype, Wikipedia ou Linux (partage des réseaux, des connaissances, du savoir-faire pour servir un plus grand nombre), Sesus, Starbuck or Max Havelaar (respect des petits producteurs, respect de la nature, partage des richesses) ont parfaitement intégré toute ou partie de ces concepts dans leur mode de management au quotidien.
Montre-moi le chemin !
Mais comment y arriver ? Comment changer de culture? Comment favoriser l’implémentation d’un nouveau style de management? Comment changer la façon de faire du business ?
Si nous avions toutes les réponses à ces questions, nous serions sans nul doute de jeunes rentiers, investissant les bénéfices de nos conseils dans des œuvres humanitaires qui nous correspondent. Malheureusement, nous n’avons pas les clés ni la prétention d’avoir une quelconque recette magique à vendre. Nous avons juste l’envie et l’ambition de partager notre vision.
A la lumière de nos rencontres avec des personnalités du monde du business, à l’éclairage de nos lectures ou de nos échanges avec des consultants spécialisés, nous avons dressé une liste non exhaistive (et loin s’en faut) des points qui méritent d’être pris en considération pour réussir une telle quête.
Nous avons énumérés quelques unes des nouveaux comportements managériaux ou paradigmes de business :
- La délégation est clé. Elle nécessite de biens connaître ses employés, leurs force et leurs faiblesses et d’avoir la volonté sincère de les mettre en situation de succès plutôt qu’en zone de stress ;
- La mesure de la performance sera la mesure du résultat atteint et non de l’écart par rapport à l’objectif fixé ;
- L’accent est mis sur les forces plutôt que sur les faiblesses et apprendre de ses erreurs est un droit essential dont dispose l’employé ;
- La démocratie existe réellement, dans une cadre fixé par le leader: la gestion participative a voix au chapitre, l’avis de tous les acteurs (stakeholders) est pris en considération
- Les communautés virtuelles sont reconnues pour leur vraie valeur ajoutée ;
- Cultiver des valeurs telles que agilité, sens de la responsabilité, fun, partage, intégrité, authenticité, compassion, humilité, courage… ces mots ne sont pas vain et sont réellement vécu au quotidien par les employés, les leaders et les managers
- L’accès à l’information est libre : les open sources, les plateformes collaboratives sont alimentées par des avis externes, juste désireux de faire avancer le monde, leur expertise dans le bon sens;
- Se remettre en question et apprendre des comportements véhiculés par des “héros” de littérature, du cinéma, de la mythologie ;
- Développer l’entreprenariat et la créativité : Virgin, Zurich Financial Services, GE sont autant d’exemples gagnants ;
- Mettre en œuvre des environnements de travail adéquats, qui sont écologiques, logiques et favorisent les relations interpersonnelles, fussent-elles virtuelles ;
- Rechercher à outrance les partenariats à haute valeur ajoutée qui créeront un esprit différenciant.
Ces pistes ne sont que quelques exemples des éléments qui peuvent soutenir le développement d’un nouveau mode de management ou de leadership. Chacun pourra la compléter par des compétences, attitudes, valeurs qui lui correspondent ou qui font du sens au sein de son organisation.
Nous avons néanmoins tenté de définir ce que ces nouveaux paradigmes peuvent avoir comme impact sur le mode de fonctionnement d’un leader et d’une équipe. A l’instar de ce qui précède, ces listes ne sont pas exhaustives mais juste éclairantes.
Pour mettre en œuvre ce style de gestion des hommes, le leader se doit de :
- Changer d’état d’esprit: passer du contrôle des tâches au contrôle du résultat. Il devra accorder sa confiance et rechercher un équilibre aussi juste soit-il entre tous les acteurs de son core-business: clients, employés, fournisseurs, actionnaires et autres business partners ;
- Développer d’autres compétences : mentorship, sponsorship, facilitation, stimulation, mettre les personnes en contact, valoriser la diversité ;
- Soutenir d’autres valeurs : rechercher l’intérêt du groupe avant son propre intérêt, développer des solutions positives et durables, authenticité, intégrité, courage, compassion et transparence ;
- Agir autrement : traiter les employés en tant qu’adultes responsables et non en les infantilisant, agir en tant que modèle de référence, se respecter soi-même: croyance, valeurs, objectifs de vie, partager l’information et coordonner les ressources ;
- Construire sur les forces de ses collaborateurs et non en recherchant les failles, aider ses employés à trouver leur propre voie, accepter les erreurs comme source d’apprentissage, faire face aux difficultés tout en recherchant les nouvelles opportunités ;
- Mettre en œuvre d’autres comportements managériaux: récompenser les succès de groupe plutôt que la performance individuelle, laisser l’équipe décider de la façon la plus adéquate pour elle d’atteindre ses succès, créer un climat de confiance et de respect, supporter toute initiative qui serve l’intérêt d’un plus grand nombre, faire de son entreprise/son département une « great place to work in/for»,
- Communiquer à propos de sa vision, être une ressource et non pas le seul élément critique pour réaliser cette vision.
Dans le même ordre d’idées, si le leader se doit d’évoluer, l’équipe n’est pas en reste. Ces changements de comportements managériaux la concernent également au premier chef :
- Changer d’état d’esprit: être engage vis-à-vis d’un résultat plutôt que de faire acte de présence, jouer le jeu si on en a accepté les règles, agir comme une pièce à part entière d’un puzzle qui ne serait pas complet sans sa contribution;
- Développer d’autres compétences: autonomie, jouer en équipe, sérier les priorités avec discernement, accroître la communication directe et franche, gérer son boss,
- Agir autrement : accepter de se remettre en question, développer la connaissance de ses propres forces et faiblesses, être proactif à bon escient
- Soutenir d’autres valeurs: le groupe passé avant soi, authenticité, intégrité, implication, prise de responsabilité, fair play, ouverture, disponibilité
- Agir autrement: être flexible, committed, trouver sa propre façon de contribuer à l’objectif de groupe, partager l’information, l’expérience et les ressources, être honnête vis-à-vis de soi-même et des autres.
Faites que le rêve dévore votre vie afin que votre vie ne dévore pas votre rêve (Antoine de Saint-Exupéry).
Si le Petit Prince demandait à Saint-Exupéry de lui dessiner un mouton, avec toute sa candeur et son innocence, nous voudrions vous demander, NOUS demander, avec la même candeur, la même innocence, de dessiner un leader pour le monde de demain.
La guerre des talents qui fait rage, la liberté d’accessibilité à l’information, des comportements naturellement plus altruistes sont autant de piste qui nous poussent à développer le leader de demain. Cette femme ou cet homme pourra se poser à la fois en tant que guide et ressource pour son équipe. Son comportement induira un comportement similaire de la part de ses collaborateurs et engendrera, à l’échelle de l’entreprise, la définition d’objectifs qui veillera à l’obtention de résultats au bénéfice d’un plus grand nombre.
L’émergence de nouveaux comportements managériaux se fera de plus en plus pressente : respect de soi et des autres ; positivisme réaliste ou réalisme positif ; création d’une vision enthousiasmante et fixation d’objectifs qui rendent fiers de les avoir réalisés. Le « Pay-it-forward » leadership – la faculté d’entreprendre des actions positive qui servent d’abord l’intérêt de l’autre avant son propre intérêt mais tout en contribuant à la réalisation de l’objectif initial – sera un mode de gestion qui passera des scénarii hollywoodiens vers nos salles de réunions. L’entreprise reste à but lucratif mais ses employés sont sainement motivés et fondamentalement heureux de l’aider à contribuer à rencontrer les attentes de ses actionnaires qui misent plus sur le long terme que sur les indicateurs trimestriels.
Le leader de demain est un leader inspiré et inspirant, charismatique, qui sait se faire manager pour évaluer la distance du chemin parcouru et fixer de nouveau jalon. Le leader de demain loue les réalisations de son équipe et ne s’accapare pas ses succès. Le leader de demain a le courage de ses opinions et de ses actes ; il a également développé de la compassion, une faculté de se remettre en question et d’apprendre de ses erreurs.
Ce leader de demain, c’est à nous, gestionnaires de ressources humaines qu’il convient de les préparer des aujourd’hui. Et ainsi, peut-être que demain nous ne nous targueront plus d’être des gestionnaires mais des développeurs de talents.
[1]A titre d’exemple pour les lecteurs qui souhaiteraient approfondir le sujet, “When generations collides. Who are they ? Why the clash? How to solve the generational puzzle at work”. Linn Lancaster, David Stillman. Ed. Collins, 384 pages.
[2] http://www.visitcliff.com/Visitcliff/Welcome.html -www.futureworkforum.com
[3] Pay it forward, de Mimi Leder, Warner Home Video, 2001.
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