Licencier avec élégance et dignité

 

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Son premier licenciement, c’est comme son premier baiser. On s’en souvient toute sa vie. Et cela vaut dans les deux sens : que l’on ait été remercié(e) par son employeur ou qu’on ait eu la lourde tâche en tant que RH ou manager de procéder à la rupture de la relation de travail… Pas facile de poser ce geste délicat avec élégance et dignité.

 

Comme pour son premier baiser, on est maladroit. On réfléchit 1.000 fois à ce qu’il faut faire ou pas. Ce qu’il faut dire ou pas. Ce qu’il faut faire après. On écoute les plus expérimentés. On pique les trucs des grands… Et souvent, le résultat n’est pas à la hauteur des espérances. La différence entre la théorie et la pratique prend toute sa mesure, presque brutalement. Comment faire alors pour qu’un licenciement produise un impact positif qui soit bénéfique pour les 2 parties ?

L’exemple à ne pas suivre…

Qui n’a a jamais entendu parler d’un licenciement dont l’annonce a été faite par sms ? C’est une technique qui  utilisée par Telima Nancy en 2010 pour un licenciement collectif et qui a été légalisée en France depuis 2013. Ou par message laissé sur la boîte vocale ? Ou par un accompagnement à la sortie entre 2 agents de sécurité sans possibilité de saluer les collègues ? Ou encore par mémo, à l’instar de Microsoft.

En avril 2014, Microsoft acquiert Nokia pour 7,2 milliards de dollars. En juillet 2014, Stephen Elop, ex-PDG de Nokia et Senior VP Devices de Microsoft transmet alors une note de 1.100 mots à l’ensemble du personnel de sa division. Celle-ci commence sympathiquement par “Hello there”, comprenez “Salut tout le monde”. Après 10 paragraphes d’explication en jargon d’école de commerce sur le repositionnement stratégique du géant informatique, Elop annonce en 2 phrases, soit 39 mots, le licenciement de 12.500 collaborateurs. Pas un merci pour la collaboration réalisée jusque là, juste la certitude d’avoir, si on est licencié, un package de sortie. Point.

Dans la foulée, toujours par email, Satya Nadella, le CEO de Microsoft annonce 5 mois après sa nomination la disparition de 18.000 jobs (incluant les 12.500 de Stephen Elop). Il assure que les collaborateurs impactés seront indemnisés, certains auront des transitions professionnelles. Quant à ceux qui restent, cette restructuration leur permettra d’être plus agiles, plus responsables et plus rapides. Mauvaise nouvelle : le processus d’information des collaborateurs concernés va s’étendre entre 6 mois à 12 mois. Une longue période d’incertitude quant à son avenir, une opération au coût consolidé de 1,2 milliards de dollars. Bonne nouvelle : le cours de Microsoft prend 1,5% rien qu’à cette annonce et l’entreprise réalisait 4,62 milliards de dollars de bénéfices sur le trimestre précédent l’annonce…

Licenciement : les chiffres belges 2015

En Belgique, entre janvier et septembre 2015, 85 entreprises ont annoncé leur intention de démarrer une procédure d’information et de consultation dans le cadre d’une restructuration. Cela concernait 3.982 travailleurs (dont 2.345 en Flandres !). Toujours sur la même période, 74 entreprises ont clôturé leurs processus d’info-consult qui concernaient 6.708 personnes. Au final, plus de 5.650 travailleurs se sont retrouvés sans emploi. Environ 20% des procédures se sont clôturées dans une période de 30 jours alors que la majorité (60%) s’est terminée endéans 90 jours. Et ce n’est pas le coût du licenciement qui semble freiner les décisions. Le cabinet d’avocats Laga publiait le résultat d’une enquête européenne en juin 2015 : “La Belgique reste le troisième pays où le licenciement coûte le plus cher à l’employeur, juste derrière l’Italie et la Suède.  La Belgique est le septième pays le plus cher en cas de licenciement sans raison objective, mais grimpe au deuxième rang si l’employé est licencié sur base d’une raison objective (individuelle ou économique)”.

Partant d’un tel constat, le licenciement a malheureusement encore de beaux jours devant lui. Internet regorge de sites et blogs qui vous dispensent leurs bons conseils : monter un dossier irréprochable, être direct sans laisser le droit à la parole, couper immédiatement les accès informatiques, ne pas permettre de repasser par son bureau, reprendre immédiatement l’ensemble du matériel mis à disposition, communiquer laconiquement par écrit vers le personnel, etc. Des approches dures, insensibles, factuelles et dépourvues de toute humanité.

Pour définir la meilleure façon de mettre fin à un contrat de travail, il suffit finalement de se poser une toute simple question : “et si ça m’arrivait, comment voudrais-je que cela se passe?”

Elégance et dignité…

Certes, la fin d’un contrat de travail, ce n’est jamais un moment de joie. C’est pour beaucoup la preuve flagrante d’un échec inéluctable dans la relation, que cette erreur soit liée à la relation interpersonnelle (licenciement individuel) ou organisationnelle (licenciement collectif).

Première règle : un licenciement ne devrait jamais être une surprise: licenciement individuel ou collectif, pour quelque raison que ce soit (faute grave, inadéquation avec la fonction ou pour restructuration). Et si on commet une faute grave, il faut en définitive assurer les conséquences de ses actes et, cela ne sera pas non plus une surprise.

Il faut également qu’au fil du temps, le collaborateur et le “supérieur hiérarchique” aient l’occasion d’échanger en tant qu’adultes à propos de ce qui est efficient et de ce qui ne permet pas aux deux parties de s’épanouir pleinement dans la relation de travail. Malheureusement, il faut reconnaître qu’on manque souvent cruellement de courage et de sincérité. Les situations s’enveniment, pourrissent et la productivité s’en ressent. Qui dit baisse de productivité dit augmentation de la pression et le cercle vicieux s’enclenche, souvent vite, trop vite. L’escalade n’a généralement qu’une seule fin : la rupture du contrat de travail, individuellement ou collectivement.

… Y compris dans le passage à l’acte !

L’élégance et la dignité doivent se pratiquer à chaque moment de la vie professionnelle, du recrutement aux entretiens d’évaluation et dans toute occasion d’échange sur le développement personnel de l’employé.

Lorsque la relation ne peut se poursuivre et qu’une fin doit irrémédiablement être apportée, le processus et l’entretien de licenciement doivent également être élégamment et dignement gérés. Les conseils pour permettre un licenciement juste et humain sont simples, de bon sens et ne requièrent ni argent, ni énergie supplémentaire.

Alors qu’entendons-nous par élégance et dignité ?

Il semblerait normal que l’élégance qualifie l’attitude de l’employeur tandis que la dignité celle du travailleur. Au manager de se montrer respectueux, de s’assurer d’une juste équité dans les indemnités de sortie, d’être généreux dans les actions d’accompagnement, d’être humain dans la posture et le choix des mots. Au travailleur de se montrer digne en évitant – même si c’est difficile et bien compréhensible – crise de larmes, de nerfs ou de colère. En évitant le claquement de porte et les injures hurlées le long des couloirs.

Allons un pas plus loin. Et si nous poussions le raisonnement qui consiste à se mettre dans la peau de notre interlocuteur. Echangeons donc les rôles.

Comment l’employeur peut-il faire preuve de dignité, c’est-à-dire d’une “attitude empreinte de réserve, de gravité, inspirée par la noblesse des sentiments ou par le désir de respectabilité” (Larousse) ?
Celle-ci se démontrera non seulement par la diffusion adéquate d’informations liées à cette fin de contrat, par sa façon d’annoncer la nouvelle à l’équipe, par sa réserve sur les éléments négatifs qui ont pu émailler la relation de travail ou en étant transparent et objectif sur la situation économique et tous les efforts entrepris avec sincérité et courage pour essayer d’éviter cette décision fatidique. Il se montrera digne également dans l’enchaînement des événements : on n’ouvre pas le champagne dans la foulée d’un licenciement !

En tant que manager, il est essentiel dans ce processus difficile de cultiver  la compassion, ce qui est une notion encore un peu plus affective que l’empathie, en se posant, toujours avec courage et sincérité (on ne le répétera jamais assez) la question centrale et essentielle “et si moi j’étais à sa place, comment réagirais-je ? comment voudrais-je qu’on me l’annonce ?”. Avec un peu de compassion, bon nombre de licenciements se passeraient beaucoup mieux. A partir du moment où la procédure est gérée avec justesse, élégance et dignité, la bonne compréhension mutuelle permet d’éviter une escalade du conflit.

Comment aborder le point de l’élégance lorsqu’on est licencié/e?
Une fois le deuil fait, il n’est pas nécessaire de s’étaler dans son cercle social sur les défauts de son manager ou sur les dysfonctionnements de l’organisation. Il est tout à fait admis de reconnaître que la situation n’est pas adéquate mais de là à parsemer son langage de noms d’oiseaux pendant des mois, il y a un pas. Il faut toujours garder à l’esprit qu’on ne sait jamais qui on retrouve sur son chemin. Et si abus il y a, certes il peut-être légitime d’attirer l’attention de futurs candidats ou ex-collègues sur cette décision illégitime… en restant toutefois factuel et sobre, ce qui assure la crédibilité.

 

Un nouveau départ…

En conclusion : du doigté, que diable ! Un licenciement est une situation délicate qui va marquer profondément et durablement les acteurs de cette partie.
Au mieux ce processus sera géré, au plus vite le collaborateur licencié pourra rebondir et ce sera autant un gain pour lui que pour sa famille et la Communauté.
Au mieux le licenciement sera géré, au mieux le manager se sentira vis-à-vis de cette situation difficile et pourra à nouveau se concentrer sur le nouveau départ de l’équipe.

Les conditions de licenciement finissent aussi toujours par se savoir. Etre juste en matière de licenciement permet à l’équipe et aux collègues qui restent d’être sereins et de retrouver plus rapidement un rythme collectif normal.

Et enfin, rappelons que ce qui vaut pour le licenciement vaut également pour une démission. Il n’est pas nécessaire de prévenir son employeur à la dernière minute. Ou de l’informer par sms en restant énigmatique. Ou de le mettre dans l’embarras en ne se présentant plus.

En conclusion, licenciement ou démission, c’est un même défi : celui de se quitter avec élégance et dignité, pour le bien et la performance de tous.

 

Vous êtes sur le point de licencier ? Pensez à …

– toujours donner un message positif, sincère et véritable à un moment donné dans l’entretien;
– reconnaître les qualités de la personne et lui suggérer s’appuyer sur elles pour rebondir;
– ne pas vous appesantir sur les erreurs : elles ont déjà dû être mentionnées dans le passé;
– accepter avec délicatesse la souffrance que représente cette étape de la vie professionnelle;
– dire les choses en considérant que vous avez en face de vous un adulte qui va devoir annoncer cette nouvelle à ses proches;
– assurer que vous répondrez aux demandes de références en étant juste et équitable;
– ouvrir votre carnet d’adresses;
– gérer l’avant et l’après conversation : quelle latitude allez-vous laisser à cette personne qui perd son emploi ?
– permettre de prendre part au processus de communication;
– proposer un entretien ultérieur, une fois les tensions apaisées;
– rester élégant/e et digne;
– penser à la façon dont vous voudriez que cela vous soit communiquer.

2 thoughts on “Licencier avec élégance et dignité

  1. Je m’apprête à licencier quelqu’un. La question “Comment voudrais-je que ça se passe” est très bonne, encore faut-il savoir y répondre… J’ai tourné la question dans ma tête pendant des semaines et je pense que l’élégance dont vous parlez consiste surtout à faire l’effort de se mordre la langue pour que ce qui sort de notre bouche n’implique que nous et ne charge pas l’autre : “J’ai décidé de…” (pas “on”, moi). Il y a malheureusement beaucoup d’infantilisation des personnes au travail.

  2. Pingback: Gérer la crise : La boîte à outils d’Happyformance – missphilomene

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