Plaidoyer pour la transparence salariale

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“Bonjour, vous allez bien? Et combien gagnez-vous?” La question est vécue comme une réelle intrusion dans un des domaines les plus privés qu’il soit. Certains diront que c’est culturel, qu’aux USA, les revenus sont annoncés au même titre que le détail du lunch. Détrompez-vous: le sujet est vraiment tabou partout.

Chez nous, seuls les fonctionnaires ou les membres de Comités de Direction de sociétés cotées en bourse n’ont pas droit à cette discrétion. Leurs salaires sont publics, enfin, leurs grilles salariales sont publiquement disponibles.

Dès lors, que peut-il peut bien passer par la tête de certains patrons pour rendre totalement transparente leur politique salariale et les salaires de chacun? Folie passagère ou courage managérial frisant le génie? Tentative de réponse (publiée initialement dans le PeopleSphere 188).

Le principe de Buffer

Pour illustrer le principe de la totale transparence salariale, prenons l’exemple de Buffer. Buffer est une toute jeune société américaine qui a développé une application permettant un partage simple, efficace et documenté d’informations via les media sociaux. En 18 mois, ils comptaient plus d’un million d’utilisateurs enregistrés. Buffer est une société de 26 personnes (et qui continue à engager) créée par des expats européens basés à San Francisco. Outre leur politique de Bonheur au Travail orientée grâce à leur CHO (Chief Happiness Officer) sur le bonheur de leurs clients, Buffer a fait le choix osé d’une tendance intéressante en matière de politique salariale: la totale transparence.

Le principe est simple. Chaque fonction correspond à un salaire de base – même celle du CEO – pondérée par trois types de critères : la séniorité, l’expérience et le lieu de vie.

Les prérequis pour se lancer dans la transparence salariale

Nous ne le dirons jamais assez : un système de valeurs fort est une condition sine qua non. Il pose les fondations de toutes les actions en matière de people management et de ressources humaines.

A ses débuts, l’équipe de Buffer a défini 9 valeurs essentielles à ses yeux. Parmi celles-ci, la transparence par défaut. La raison est simple : être transparent permet de cultiver la confiance, d’améliorer l’esprit d’équipe et de prendre de meilleures décisions en connaissance de cause. Ce principe de transparence s’applique aux revenus injectés par les investisseurs, au reporting sur les résultats, aux engagements personnels. Et par extension aux salaires.

A ces valeurs d’organisation, j’ajouterai également comme prérequis fondamental l’attitude du leadership. Une telle approche requiert les 4 vertus qui selon moi font du manager un leader inspirant: la sincérité, l’humilité, la générosité et le courage. Les 4 vertus sont également nécessaires pour se lancer avec succès dans une telle démarche.

La formule Buffer

Buffer utilise donc une formule simple pour expliquer la construction de ses packages salariaux.

“Le salaire = le type de fonction * la séniorité * l’expérience * la localisation”

Un montant annuel de 10.000 $ peut être ajouté si l’employé fait le choix du salaire brut en lieu et place d’actions.

Au niveau des fonctions, le ratio est de 1,7. Le CEO aura un salaire de base 1,7 fois plus élevé que le niveau le plus bas dans les fonctions.

Le coefficient de séniorité permet d’appliquer un pourcentage allant de 5% pour un senior à 20% pour un niveau de vice-président. Ces pourcentages vont de paire avec somme forfaitaire par million de dollar de revenus générés : de 3.000$ à 12.000$ par niveau.

Le coefficient d’expérience permet d’appliquer un multiplicateur allant jusqu’à 1.3 selon le niveau de maîtrise de la fonction.

Enfin, un coefficient de localisation, le fameux coût de la vie, est appliqué par souci d’équité, par similarité aux politiques sur l’expatriation. Les lieux de travail sont répartis en 4 zones géographiques, zones qui génèrent un forfait allant de 0 à 22.000$ par an.

C’est aussi simple que ça. Une fois tous ces calculs compilés, la liste des salaires est mise à jour et publiée sur internet.

Les 7 clés d’apprentissage de la Totale Transparence Salariale

Je vous entends d’ici : “impossible de faire ça chez moi”, “les syndicats seront contre”, “le TOP ne voudra pas et les salariés non plus”, “c’est la porte ouverte au débauchage”. Bien sûr, il n’est pas simple de passer d’une totale opacité ou d’une transparence tellement complexe que plus personne n’y comprend rien (cas vécu) à une transparence limpide et KISSSS**.

Pourtant, les avantages sont nombreux ainsi que l’expliquent les dirigeants de Buffer (26 salariés), de SumAll (40 salariés) ou encore de Whole Food (6500 salariés dans la grande distribution… ça devient sérieux, n’est-ce pas?).

  1. Terminées les discussions de maternelle : les patrons ou les équipes RH submergés par les demandes d’augmentation justifiées par le fait que Marie-Josette gagne plus que Léon-Paul alors qu’elle est plus jeune que lui. Si un/e salarié/e gagne plus dans la même fonction, c’est tout simplement qu’il ou elle a un impact plus important sur ou pour le business. Point à la ligne, fin de la discussion, retournez travailler.
  1. Terminées les suspicions et le favoritisme : la position salariale de chacun est définie par son niveau de contribution, sa maîtrise, sa localisation. Pour le reste, les arguments tels que “le fils de la cousine du bourgmestre” ou l’amant / la maîtresse de Megaboss sont nuls et non avenus.
  1. Terminées les frustrations individuelles : Le principe-même de la transparence salariale est d’être rémunéré(e) à hauteur de sa valeur ajoutée. On a ainsi l’assurance d’un système équitable et de ne pas avoir été roulé(e) par un recruteur dur en négociations. L’esprit d’équipe s’en trouve renforcé et la confiance perdure lors des engagements suivants.
  1. Terminées (ou presque) les interminables négociations avec les partenaires sociaux. Le système est clair, simple, basé sur les valeurs, juste. Que demander de mieux? Bon, d’accord, cela peut diminuer leur zone d’influence mais il y a d’autres débats dans lesquels le point de vue construit des syndicats serait bien plus utile.
  1. Terminés les abus de pouvoirs des top managers. Il n’est pas toujours motivant d’avoir conscience, lorsqu’on est DRH ou manager ou pire encore, simple salarié, que le TOP abuse. Se serrer la ceinture, certes mais pas au même cran pour tous. Ici, avec une telle politique, il est évident que le leadership de l’organisation soutient une démarche pérenne et respectueuse de ses salariés. Et on peut aller au bout du monde avec de tels patrons.
  1. Gérer une phase de chaos pour plus de durabilité. Alors, oui, j’en conviens. Définir la totale transparence revient à lancer une bombe dans un magasin de porcelaine. Mais cela obligera aussi certains éléments perturbateurs à enfin délivrer ce qu’ils sont supposés produire pour leur niveau de salaire. Cela pourra aussi remettre l’église au milieu du village et adoucir les velléités de certains arrogants qui s’estiment injustement sous-payés.
  1. La loyauté de vos employés ne tient pas qu’à leur salaire. Vous avez déjà pu lire dans les pages de Peoplesphere les dangers des prisons dorées. En publiant les salaires, vous informez le marché non seulement de vos conditions salariales mais vous faites état d’un argument de poids : si vos concurrents n’arrivent pas à débaucher vos talents, c’est que ces derniers s’épanouissent chez vous. Et cela, ça n’a pas de prix pour attirer d’autres talents!

Vous l’aurez compris : l’exercice n’est pas simple. Il requiert sagesse et méthode. Et il est légitime de se demander dans quelle mesure une traduction de cette nouvelle approche managériale à nos cultures européennes serait utile. Toutefois, au final, force est de constater que le principe de Totale Transparence Salariale est porteur de plus de performance pour l’organisation et plus de bonheur pour les équipes. Alors, qu’attendons-nous pour nous l’approprier?

* KISSSS : Keep It Simple (facile à utiliser), Short (sans contrôle inutile), Sexy (on a envie de l’utiliser) et Sustainable (pérenne)

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